Lire la postface d'Apolinaire AGBAZAHOU à Presqu'une vie de Carmen Toudonou
Carmen TOUDONOU : la romancière plaideuse
Elle s'était annoncée tout récemment comme poétesse dans Anxiolytique, anthologie féminine de poésie béninoise en
trois vitrines. Elle vient de se révéler romancière avec Presqu'une vie. C'est l'évidence qui dévoile Carmen TOUDONOU en tant que férue de littérature et
lui accorde le visa d'entrer dans
le landerneau des écrivains béninois, surtout pour élargir un peu plus le cercle assez restreint des auteures.
Le parcours de sa première production romanesque l'impose comme une fine connaisseuse de la tradition de chez elle.
L'essentiel du décor campé et de l'intrigue
conduite, installe le lecteur au cœur des vérités rurales auxquelles le vent de modernité n'a pu donner une seule ride.
Telle Ariane, Carmen TOUDONOU conduit le
narrataire à travers le labyrinthe des réalités sacrées, tout en
préservant l'omerta. Sa stratégie narrative très ingénieuse, est à double intérêt. D'abord
l'attachement de la romancière
à son patois, au regard du recours fréquent à la diglossie, qui la contraint à un genre de glossaire en fin
d'œuvre, titré "couleurs locales". Ensuite, on note la naïveté de la narratrice qui dans une
langue quasi enfantine et neutre fait de
troublantes révélations, en levant le voile sur des tragédies humaines à la
fois bouleversantes et révoltantes.
Presqu'une vie,
est un hymne dédié à la gent féminine en
milieu rural. C'est une œuvre à saveur biographique, qui retrace la
vie de l’héroïne- narratrice, depuis sa tendre enfance
jusqu'à l'âge adulte. C'est
l'histoire d'un destin
promis à un avenir radieux, hypothéqué par le carcan de la tradition.
C'est la dénonciation
de la toute puissance de l'autorité parentale qui ravale la femme au rang d'une chose, voire d'un animal.
C'est une profession de foi qui étale les laideurs socio-religieuses en milieu paysan.
C'est finalement un roman engagé,
dans lequel Carmen TOUDONOU met sa plume au service des humiliations, des servitudes, des misères faites surtout aux
femmes, dans les univers fermés aux assauts
de la modernité. Le cri de cœur de la poétesse, déjà âme très sensible, qui se veut ici plus
communicative en dépouillant son langage
des fioritures spécifiques à la poésie, devient un roman arborant le titre Presqu'une vie, pour une plus large
diffusion de ses opinions sur une condition féminine avilie et pitoyable
typique des bouseux.
La plume plaideuse de la romancière n'est cependant pas aussi désespérée, que l'état d'âme qu'elle transmet
au lectorat. C'est vrai que le roman s'ouvre sur la mort
et s'achève
aussi par la mort, donnant l'impression de non progrès et de l'enfermement du monde peint par
l'auteure. Ce caractère cyclique est bien contrebalancé par le décès de Sourou, le père de l'héroïne-narratrice. Cette fin qui coïncide avec le retour
au bercail de cette dernière, est un
présage d'optimisme et d'espérance. Dans la mesure où, la mère est finalement une complice tacite ; elle n'est donc
pas un obstacle. Le père par contre,
est l'incarnation de l'hégémonie mâle et le symbole fort de l'autorité parentale voire paternelle. Il est alors un
handicap au plein épanouissement humain
de l'héroïne.
Sa disparition est synonyme du déclin d'un règne et sonne du coup le glas de la fin d'un monde. Le boulevard est ainsi tracé et ouvert pour
la conquête de toutes les libertés
possibles de l'héroïne-narratrice. Ce qui en dépit de toutes les émotions
semées,-de toutes les sensations fortes données, de toutes les injures exposées, fait de l'œuvre un roman d’espoir. La
fin inattendue oblige le lecteur à poursuivre sa propre écriture de l'ouvrage
qui ne peut que s'achever en apothéose pour l'héroïne tragique.
Carmen TOUDONOU s'inspire certainement de sa vie première, pour ouvrir les portes sur le royaume de son enfance, afin
de partager les saignées du cœur. Elle folâtre dans la
tradition pour l'étalage
des puanteurs qui la dévalorisent.
Elle a remué la poubelle pour déranger, tout en y extirpant les fleurs qui ont
besoin du bon terreau pour resplendir. La romancière suggère qu'il y a
nécessité de gommer un certain monde, pour favoriser l'émergence d'un monde meilleur. La tradition a ses charmes mais colporte aussi des pratiques abjectes, à combattre.
Apollinaire AGBAZAHQU-Écrivain
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