Perles d’émotion de Marcel-Christian OGOUNDELE

Le regard critique de Daté Atavito BARNABE-AKAYI 


En mai 2012, il y a environ un an, nous nous sommes rencontrés ici, pour célébrer Tu leur diras, un ouvrage qui a arraché des perles de larmes à plus d’un d’entre les convives. Un ouvrage qui a étendu ses émotions jusqu’aux absents de sorte que, lorsque les responsables du système éducatif se sont réunis, à la découverte de Tu leur diras, ils n’ont su résister à le recommander dans le programme scolaire dans l’enseignement primaire, notamment dans toutes les classes du Cours Moyen 1ère année et du Cours Moyen 2ème année du territoire béninois. Nous leur en savons gré. L’auteur en tête.
Aujourd’hui, 11 mai, journée consacrée à Bob Marley, Ogoundélé nous invite derechef à baptiser son deuxième recueil de poèmes. Chers invités, la poésie de Marcel-Christian Ogoundélé et la musique de Bob Marley n’ont apparemment pas de tissu ombilical commun. Mais il se trouve que la poésie et la musique partagent la mémoire auditive. Et c’est justement cette mémoire auditive que privilégie le groupe linguistique « gbé » ; groupe auquel appartient l’auteur. Un enfant têtu qui frôle l’inconduite se dit dans sa langue « Un enfant qui n’entend pas ». La poésie et la musique partagent, dis-je, l’ouïe. Et Ogoundélé renforce cette capacité mnémotechnique, en jouant dans ce recueil de poèmes sur les sons ! Mais aussi sur les couleurs. Car, contrairement à certains poètes qui rêvent et s’éloignent un peu trop de la terre, Ogoundélé choisit un jeu esthétique dont la jouissance contraint à se souvenir des handicapés, un peu comme Bob Marley, des opprimés. Parce que, pour être francs, combien sommes-nous à nous rappeler qu’à côté de nous, il y a des êtres humains dont les yeux sont mis hors compétition dans l’appréciation du « ciel [qui] était de couleur bleue » ? Combien sommes-nous à offrir un « tricycle » à celui qui n’a pas les moyens de s’en acheter et qui n’a pas les deux pieds comme nous pour marcher ? Marcel-Christian Ogoundélé s’est exprimé clairement dans l’avant-propos de l’ouvrage : il faut croire que « le handicap ne sera plus une fatalité ». Mais que cache concrètement ce nouvel ouvrage ?

Perles d’émotions est un recueil de 24 poèmes regroupés en 10 piliers selon une architecture propre à l’auteur dont j’avoue ignorer les motivations secrètes. Cependant les épigraphes en forme de paroles liminaires, proverbes ou citations d’artistes, peuvent guider le lecteur à moins s’égarer en des considérations hors propos. Encore qu’il ne s’agisse pas de comprendre mais de savourer !
En goûtant donc au premier pilier fait d’un seul poème intitulé « Ma douce amie », on comprend à quel point Ogoundélé, en ouvrant le recueil avec un pareil texte, lyrique et pathétique à la fois, tient à ce que chacun d’entre nous agisse pour que chaque jour soit une fête pour les handicapés.
Le deuxième pilier est également fait d’un seul texte, le poème éponyme. Je veux parler du poème « Perles d’émotion ». C’est un texte qui, tout en s’adressant à un enfant, un petit enfant (peut-être le petit-fils de l’auteur), en cherchant à l’amener à l’art, mais à l’art qui se voue et se dévoue au plus faible, laisse transparaître une opinion élégante de la vie. En réalité, tout véritable artiste, que dis-je, pas artiste, je devais dire toute véritable personne humaine, conserve en soi l’enfance. Parce que lorsque cet enfant en nous meurt, nous devenons blasés, insensibles, et en face de l’horreur, de la misère, que nous trouvons désormais normale, fatale, incurable, nos larmes refusent de couler des « perles d’émotions » ! Nous devons sauver l’enfant qui meurt en nous car, nous rappelle l’Evangile, le Christ a bien dit : « Laissez venir les enfants vers moi. »
Marcel-Christian Ogoundélé, dans le troisième pilier constitué de 5 poèmes, montre justement que le fonctionnement de son état affectif jouit d’un équilibre conventionnel et est semblable par moments à l’enfance. Pour preuve, la mort de « [s]on vieil ami », qui, à son égard, joue le personnage de père l’affecte au point que le poète, grand adulte, pleure cet amical tutorat : « je redeviens orphelin ». Dans le poème suivant (« A noël, je serai absent ») construit sur un schéma antithétique juxtaposant l’hémisphère nord à l’hémisphère sud, Marcel-Christian Ogoundélé élabore, tout en soulignant cette mort provisoire qu’est l’absence, une complémentarité existentielle, miroir de ses expériences bénino-française ! Revient une autre relation amicale. Mais cette fois-ci avec Claude, que le poète confond à dessein aux livres car il dirige une librairie informelle communément appelée « librairie par terre ». Cette amitié entre Claude et le poète est révélatrice des relations entre les mots et le poète. Le poème situe le salut au jour consacré à Dieu (le dimanche) et hisse Claude comme tous ses livres au rang divin. En réalité, le véritable livre délivre l’âme des carcans de l’ignorance et l’élève vers la Pureté comme « Tantie Docteur » prévient et débarrasse le corps de toute souillure. Un médecin, souligne le 4è texte de ce troisième pilier, est « une amie ». Peut-être, le poète fait-il allusion à ces médecins charlatans qui ruinent les patients et les conduisent, sans autre forme de procès, à la mort ! Or, il eût été plus professionnel de respecter le serment d’Hippocrate, parce que, parfois nous l’oublions, nous appartenons à la même race humaine, et rêvons tous du bonheur prédit par Sempê, un autre être cher que le poète remercie dans le cinquième poème portant ce nom Sempê !
Le quatrième pilier, comptant 3 poèmes (« Le paon de Monsieur l’Ambassadeur », « Le bouquet de fleurs » « Barack Obama, la Jeunesse ») associe monde animal, monde végétal et la politique ! J’ai bien envie de rester muet sur cette osmose. Mais je ne voudrais commettre aucun crime de lèse-majesté ! Qu’il me soit alors permis de faire observer que ce paon décrit par Ogoundélé, à la relecture, est une image du monde diplomatique et des différentes conventions humaines. Je ne parlerai davantage politique que pour confirmer que le plaisir qu’on éprouve à délecter le dernier texte de ce pilier qui évoque le mythe d’audace, de persévérance, et de démystification incarné par le président américain Barack Obama.
Les 4 textes qui composent le 6e pilier changent la courbe politique. Les deux 1ers (« la porteuse de grâce », « J’ai choisi ») chante la joie de vivre et les deux autres (« Sans vous, Madame », « Je célèbre ») rendent un hommage épique à des métiers « brave[s] » qu’on méprise car ils ne nécessitent, croit-on, aucune qualification et rapportent rarement de gros sous !
Or, le seul texte du 7e pilier (« Mon trésor d’après-guerre ») replonge le lecteur dans l’amour des lettres. Dans une narration poétisée et poétique, Ogoundélé nous fait voir sa passion pour les livres. Un poème qui rappelle le cinquième texte du recueil, « Claude, vieux livre ». Pour le poète, on ne peut vivre sans la lecture, et aucun livre, si vieux soit-il, ne doit être méprisé. La technique rhétorique empruntant à l’hyperbate, à l’hypallage, au zeugma pour traduire cette passion dévoile sa volonté de briser la prison qui héberge ceux qui ne croient pas aux vertus des livres, et à les amener  à se repentir. Peut-être que j’exagère. Je le laisse parler lui-même à la page 49 :    
je le lirai souvent 
pour embellir mon vocabulaire
et mon écriture, pour recréer
de nouveaux mots
et ma culture en remplaçant les guerres
et les pleurs par l’amour.
Le 8e pilier comprend 5 textes qui laissent voir des tableaux rappelant la technique paysage-état d’âme propre au romantisme. « Kaboua » est le premier poème qui ouvre ce pilier. Ogoundélé se réconcilie avec la terre, cette « terre riche de sciences africaines / dont les enfants furent missionnaires /et protecteurs dans divers royaumes/ contre l’ennemi et les fantômes/ A Kaboua j’irai chercher mes traces/ Pour retrouver ma terre et ma place ». L’auteur notifie que Kaboua est un royaume dans le septentrion du Bénin près de Savè (XVIe siècle). Pas question de prendre Marcel-Christian Ogoundélé pour un intellectuel qui fuit ses origines, ce que lui-même appelle « corde invisible de la lignée ». D’ailleurs, il apparaît clair que dans cette partie, il entreprend de revisiter les personnages cosmiques. Car, après la terre, l’homme a besoin d’eau. Et voilà Ogoundélé qui invite le lecteur dans le poème suivant à se baigner dans la vallée de l’Ouémé, avec pour musique les murmures lointains d’Okpara et du Zou, le clapotis plus rapproché du Nokoué et le bruit voisin de la lagune de Porto-Novo.  Ce fleuve béninois se multiplie rigoureusement par 2 à la page suivante et  donne lieu au « Val de Loire », une eau française que l’âme du poète habite. Et l’espace aquatique se poursuit avec une métaphore hydrographique. Le poème « Vieux pont », en intronisant dans la mémoire « Le pont Mirabeau », un célèbre poème de Guillaume Apollinaire, mélange avec beaucoup de dextérité artistique la nature à l’amour, l’amour à la beauté, la beauté à la misère «  et sur les trottoirs la nuit, / quand ne tombe pas la pluie, / les sans-logis y font leur lit. »  En fait, ce poème « Vieux pont » est une représentation du passé glorieux et amoureux du poète : «  le lac convole en justes noces avec justes noces avec la mer et c’est une juste cause. » Et quand on lira le dernier poème de ce pilier « Si, a Volte », l’élément feu gicle comme ce volcan italien VЄSUVЄ ou comme ce feu qui parla à Moïse. Le lexique religieux qui commande ce texte laisse supposer la volonté du poète d’aller à sa propre quête, où qu’il se soit égaré, en Italie, en France ou au Bénin ici ! Ce 8e pilier demeure une interpénétration de soi en sollicitant le concours des personnages cosmiques !
Le 9e pilier qui n’est constitué que d’un seul poème « Ernest et Rosalie » est un hymne aux grands-parents !
Le 10e pilier est présenté comme un jardin familial où le poète plante des senteurs de promesse d’anniversaire comme dans « A ton anniversaire » ou  de prière et révélation de mariage « Maman m’a dit ». Mais le poème « Célestine », le dernier du recueil, au-delà du lien congénital qu’on peut établir peut désigner si on a recours au référent baudelairien à la bien-aimée ! Le mot « Sœur » peut bien renvoyer à l’âme-sœur, tout comme il peut servir à désigner la femme, c’est-à-dire la poésie elle-même. De sorte qu’on peut lire comme derniers vers du texte : la poésie « est une rose de fée/ dont l’épine est mon amie. »

Au total, ce recueil de poèmes regroupe des « perles d’émotion » puisées de toutes parts. Ogoundélé y entreprend une recherche à la fois orphique et futuriste, traditionnelle et moderne. Il y laisse des traces de pas d’amour et surtout d’amitié. En fait, tout  y est prétexte littéraire pour procéder à une consultation préventive de l’état de santé de l’amitié dans la famille des mots, dans la société des livres, et dans le monde de la poésie !
Et je me demande toujours comment l’enfant que nous avons été, l’enfant qui a aimé les jeux de sonorités de la poésie à la maternelle ou au primaire, soudainement, manifeste une tendre répugnance à la poésie, arrivé au collège. Peut-être parce que, à y voir à la loupe, nous tuons l’enfant en nous, en nous sevrant de ces recueils de poèmes que les écrivains béninois publient chaque année, et qui ne sont jamais programmés au secondaire. Je voulais justement citer quelques recueils de poèmes des écrivains béninois qu’on étudie au secondaire mais je n’arrive plus à m’en rappeler. Toutes ses excuses. Ou quelqu’un peut-il m’aider ? Je réitère ici toute ma gratitude aux responsables de l’enseignement primaire !
La poésie est un genre littéraire, dit-on, compliqué, complexe, hermétique. Mais voici Ogoundélé qui nous offre des « perles d’émotion » dépourvues des grandes acrobaties rythmiques, tropiques et isotopiques dont le saisissement pourrait effrayer l’enfant ! Des « perles d’émotion » faciles à recueillir dans un petit coin de notre cœur ou de notre cerveau pour des projets oniriques. Car ceux qui font avancer l’humanité ont dû rêver d’abord. Et les spécialistes de la littérature qui s’entendent rarement sont tous d’accord que le poète est le plus rêveur des écrivains ! Conduisons-nous vers le rêve, osons rêver et recommençons à rêver avec les Perles d’émotions de Marcel-Christian Ogoundélé ! Un poète qui, tout en gardant sa sacralité, lutte pour démystifier le genre poétique. Un poète qu’il faut encourager dans la mesure où ce n’est pas une entreprise facile d’écrire pour la tendre jeunesse. Et Ogoundélé de par la rigueur du choix des mots, la sobriété de la rhétorique, la recherche des thèmes, le voyage entre le Bénin et la France, entre les joies et les pleurs, réussit à nous arracher des « perles d’émotions »  en nous rappelant qu’il nous faut prendre soin de l’enfant qui souffre en nous, auprès de nous, autour de nous, loin de nous et dans le monde…!   









      
 

   

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